Conférence du mercredi 11 janvier 2017, co-organisée avec l’INA-Toulouse.
Henry Colomer est un cinéaste français, auteur de nombreux documentaires. Il travaille souvent à partir d’archives qu’il monte. Il a réalisé une trentaine de films, dont un long-métrage de fiction, NOCTURNES. Parmi ses documentaires, des portraits, Iddu – L’atelier de Jean-Michel Fauquet, Ricercar, Vies Métalliques-Rencontres avec Pierre Bergounioux, ainsi que des films historiques explorant les grands bouleversements du début du XXème siècle : Monte Verità, Optimum et Sous les drapeaux. En ce moment, il travaille à un triptyque en collaboration avec l’INA et après La Télé, le deuxième volet : De l’Air est désormais achevé.
Avant le séminaire est projeté le dernier documentaire d’Henry Colomer, La Télé, un film produit par l’INA. Dans La Télé, Henry Colomer nous convie à une traversée subjective des premières décennies de la Radio télévision française, à la recherche des bouleversements que provoqua ce nouveau médium. Par un montage d’archives et sans commentaire ajouté, le film se déploie en triptyque :
– Communion : la télévision annexe les vieux rituels et les grands récits de la religion et du pouvoir.
– Commotion : sous le signe de la tyrannie du direct et de l’émotion à tout prix, la télévision expérimente ses propres pouvoirs.
– Connexion : regarder la « télé » devient une addiction planétaire.
Lors du séminaire, Henry Colomer revient sur ce film, mais aussi plus largement sur la pratique du documentaire comme montage d’archives. Ainsi, alors que cela faisait longtemps qu’il voulait travailler sur le sujet de l’arrivée de la télévision, c’est en se consacrant aux archives que le côté rituel lui est apparu, de façon encore bien plus évidente que ce qu’il pensait. Henry Colomer parle pour lui-même d’un « tropisme archéologique ».
Il explique ensuite comment les archives de l’INA, accessibles en ligne et classées par mots clés changent la méthode de la recherche d’archives. Cette accessibilité est également vraie en ce qui concerne d’autres fonds, comme les archives Gaumont-Pathé ou encore celles de l’Istituto luce. Quand les archives ne sont pas numérisées, il faut se déplacer. Cela rend donc onéreuses, contrairement à ce qu’on pourrait le croire, les productions à base d’archives. D’autant que les archives sont payantes lors de leur diffusion. Dans le cas de La Télé, l’INA qui produit le film a donné les archives. Sinon cela demeure très cher et, de ce fait, Henry Colomer a de plus en plus de mal à faire ce genre de film.
Les numérisations permettent de regarder les archives chez soi, ce qui est un grand confort. Mais dans cette masse, comment fait-on le tri ? L’expérience joue, bien entendu. On commence sur le papier. Il faut aussi penser à mettre de l’écho entre les images. Un plan ne devrait pas rester orphelin. Et puis il y a toujours du bricolage derrière les grands discours, les grands concepts qui organisent le film. Au moment du montage on continue à chercher des matériaux. Ainsi Henry Colomer a eu la surprise de découvrir une séquence (que l’on retrouve dans le film), qui est un making-off d’une messe filmée, où des ecclésiastiques expliquent les choix de tissus afin que l’image soit plus intéressante pour la télévision noir et blanc de l’époque. Le montage passe également par la mémoire, il y a une imprégnation à force de voir les séquences. Henry Colomer cite Paul Klee : « Ce que je fais m’apprend ce que je cherche ».
Henry Colomer passe ensuite un extrait d’un film qu’il a réalisé en 2009, Sous les Drapeaux, produit par Arte. C’est un film sur la guerre de 14-18, composé d’archives et pour lequel Henry Colomer a choisi l’angle de l’étoffe (une idée qui lui était venue en écoutant Michel Pastoureau l’historien médiéviste). C’est un film qui se développe sur les vêtements et qui propose de regarder cette époque en pensant au poids des symboles. On ne sait jamais ce que l’on va trouver et cette fois il a travaillé avec des documentalistes. Ainsi il s’est attaché à une question particulière, celle du deuil impossible. Il a trouvé une archive d’inauguration avec le dévoilement d’un monument aux morts et puis ensuite il s’est mis à rechercher d’autres du même ordre. Il y a aussi des découvertes d’autres sortes comme cette image du « Tomy » qui pose pour les photos, moment important du film que le réalisateur ne pouvait pas anticiper. Henry Colomer passe du temps, du temps pour la recherche, du temps pour le montage. Il s’inspire des travaux des historiens, les lit mais affirme faire un travail différent, avec une méthode différente, en mettant en relation des images pour espérer ouvrir vers quelque chose d’autre. Sous les Drapeaux met également en évidence un des problèmes du travail des archives, c’est-à-dire la question des droits. En effet, pour ce film, les droits de diffusion ont été achetés pour cinq ans, et donc il n’est plus diffusable aujourd’hui.
Pour conclure, Henry Colomer montre une séquence d’un film réalisé en 2010, Vie Parallèle. C’est un film de souvenirs d’enfance pendant les 30 glorieuses, qui relie mythologie personnelle et collective. Cette fois, Henry Colomer a fait le choix d’une voix off, en s’enregistrant. Une « voix-je », témoin du passage du singulier au collectif.