Conférence du 3 mai 2018
Philippe Vandendriessche est né à Nivelles en 1958. Après des études techniques, il obtient un Graduat en Arts de Diffusion, réalisation, option son à Louvain-la-Neuve – Belgique. Sa carrière professionnelle lui permet d’aborder la prise de son dans les domaines musicaux, cinématographiques, télévisuels. Il collabore à plus de 1700 films publicitaires et 250 fictions, longs ou courts métrages, documentaires. Il réalise la conception sonore de nombreux films et constitue peu à peu une sonothèque de plus de 75000 éléments. Son travail est récompensé par de nombreux prix. Il est nommé aux Césars 2009 pour son travail sur le film « Séraphine », de Martin Provost. A partir de 1982, il enseignera les techniques de prise de son à l’Académie des Beaux-Arts de Charleroi (Belgique), à l’Institut des Arts de Diffusion, à l’Institut Saint Louis (Bruxelles), au Conservatoire Royal de Mons (ARTS2), à la SAE (Bruxelles) et à partir de 2012 il vient chaque année en tant que professeur invité à l’ENSAV de Toulouse. Son approche est sensible et les notions techniques s’appuient sur une réflexion esthétique, philosophique, vivante.
Crédit photo : © Vincent Rosenblatt
La coopération
Philippe Vandendriessche explique qu’il a travaillé dans différentes configurations d’équipes, publicité ou fiction et qu’il a eu l’occasion de réfléchir à la coopération et au travail collectif. Il propose tout d’abord de remonter à son professeur de philosophie Henri Van Lier qui, dans son approche de la photographie, expliquait qu’avant l’apparition de la photographie, l’homme pouvait ressentir un sentiment de maîtrise de la création. En revanche, l’initiative de l’homme photographe intervient après d’autres initiatives : celles de l’homme technicien, celles de la nature avec ses lumières, celles du spectacle avec ses structures et ses acteurs. Henri Van Lier explique « Nous quittons assurément l’anthropocentrisme et l’humanisme, pour une vue plus technique, plus universelle, plus biologique, plus sémiotique et indicielle ». Ce professeur a eu une forte influence sur Philippe VDD qui, cinéaste, ne peut pas se prendre pour Dieu et se place au sein d’un réseau. Philippe VDD explique : « Je ne suis pas chef opérateur son, je suis coopérateur ». A partir du moment où l’on pense « coopération », cela élimine une forme de hiérarchie. La question devient : qu’est ce que nous avons en commun ? Le cinéaste, qui a compris dans quel jeu de « relations » il joue, va établir des « liens ».
Philippe VDD rappelle qu’en tant que technicien du son, il détient une place particulière. Tout le monde s’occupe de l’image. Et puis, seules deux ou trois personnes s’occupent du son, essaient de comprendre ce qui se passe autour d’eux et doivent faire des choix.
Le créateur vient rarement nous dire qu’est-ce que tu penses de l’intention, ou pourquoi tu couvres pas le hors champ ? En ce qui me concerne j’ai une réflexion permanente sur qu’est-ce que je fais là ? Je cherche ce qui est approprié. Comment je peux servir le film d’un réalisateur souvent concentré sur l’image. Ensuite, quand on les retrouve au moment du montage c’est très important.
Il donne pour exemple un film sur Marie Curie où l’on suit en travelling les personnages au bord de la mer.
Crédit photo : © Christian Hartmann
La situation est intenable pour le son et Philippe VDD assume que son rôle à ce moment là se réduise à faire en sorte que la réalisatrice entende le texte.
Parfois on fait du son pour le film et parfois on fait du son témoin. Il faut ravaler son amour propre. Si tu veux ravaler une façade, il faut construire échafaudage. Les gens ont besoin de faire faire un truc et puis de le démonter. Notre travail peut disparaître à la fin, mais il a été nécessaire à un moment.
Equipe et distance
Philippe VDD diffuse ensuite un extrait de Méthode I ( exercice de cinéma direct en 1962). On vient de mettre au point la caméra légère et un câble lie encore la caméra et l’enregistreur son, un fil qui permet un mouvement d’ensemble. Même sans le fil, il y a une relation particulière entre le preneur de son et le cameraman dans une équipe documentaire. Le cameraman distingue ce qu’il y a à la caméra et perd alors toute vision périphérique. Par contre le cameraman entend tout ce qui se passe. Le preneur de son n’entend que ce qu’il y a au bout de son micro. En revanche il voit tout. Ce couple équipe demeure parfaitement complémentaire. La symbiose est essentielle qui fait qu’on ne peut absolument pas se dire : « Je ne fais que du son ». Philippe VDD ajoute :
A propos du couple audiovisuel, je me pose de nombreuses questions sur un tournage. Comment apporter quelque chose au film ? On est comme un chien. Je me sens parfois comme un chien qui attend et guette. Il faut avoir la solution. Il faut regarder. Le preneur de son voit des choses que ne voit pas l’équipe image.
Cette distance entraîne à observer la dynamique de l’équipe et d’ailleurs bien souvent Philippe VDD en profite pour faire des photos de tournage. Parfois, cette distance a pu lui créer des problèmes de conscience, comme lorsqu’il participait à des reportages sur les départs en vacances. Un accident se produit. Le cameraman filme, le nez dans l’instrument et le preneur de son se pose des questions. Philippe VDD met en exergue les problèmes éthiques et cite le livre de Charlie Van Damme, Le cinéma est un sport de combat, avec sa charte des questions éthiques et artistiques.
Je ne suis pas « le son », », je ne suis pas une fonction. Je peux agir, je peux aussi être antagoniste, comme dans un film où on ne respectait pas les règles de tournage avec un enfant. Cela m’est arrivé de refuser des films. C’est compliqué parce que, dans un tournage, on se sent souvent dans un autre monde, avec d’autres règles. Mais les gens du son ne peuvent pas être dans un rapport de force, mais plutôt dans un rapport de force porté par l’humour.
Le technicien, son équipement et son investissement
Il explique l’importance qu’a pour lui le matériel technique pour pouvoir aussi être disponible :
La relation que j’ai avec l’équipe dépend de la relation avec le matériel. Je suis terrifié avant un nouveau film. Le jour où ça commence, c’est rempli de gens qu’on connaît pas. Il faut pouvoir ressentir. Si j’ai réglé tout mes problèmes techniques et ergonomiques, je suis disponible pour les imprévus. La relation avec l’équipement vient de loin. Je me suis dit très vite : je ne vais pas travailler avec du matériel qui ne me rend pas heureux. Autant le meilleur du meilleur. J’achète ce qu’il y a de plus cher et ça marche. Quand on est taxi, on n’a pas une voiture décrépite. Pas de compromis. Le bon matériel est indispensable pour ma paix intérieure.
Philippe VDD met aussi en évidence les évolutions techniques qui modifient sa façon de travailler. Ainsi le multipiste qui permet d’enregistrer les sons sur des pistes séparées sans faire le mixage au tournage ne constitue pas pour lui un recul.
Je ne prétends pas être le mieux placé au moment du tournage. Pour moi le multipiste n’est pas une démission professionnelle. J’insiste plutôt sur le fait que l’orientation technique peut libérer l’expression.
Il passe ensuite un extrait de l’émission Cinéma, Cinéma dans lequel on peut voir le tournage de Détective où Jean-Luc Godard a une altercation avec son chef opérateur image Bruno Nuytten et où il lui assène qu’on a rarement vu des techniciens s’investir dans la production ou inventer leurs propres outils. Philippe VDD estime qu’il est vrai que, dans l’absolu, on devrait fabriquer ses outils, mais que ces derniers étant d’une trop haute technicité, cela reste le plus souvent impossible. Mais les interférences restent possibles avec les fabricants. Il est ainsi en communication avec Nagra et il a suivi de près l’élaboration du Cantar d’Aaton. De plus, les techniciens investissent dans la production. Tout d’abord le temps, c’est une valeur. On ne peut totalement rendre compte du temps que l’on donne à un projet. Il évoque aussi des contrats de participation ou encore des techniciens qui baissent leur salaire pour mener à bien un projet. Par ailleurs, la place que l’on prend dépend de la place que le réalisateur laisse. Il souligne le fait que l’ingénieur son fait des choix et diffuse un extrait du film de Suzanne Durand Antoine Bonfanti : traces sonores d’une écoute engagée, où Antoine Bonfanti explique la place qu’il choisit pour le micro, près de la bouche, un choix qu’il définit comme politique.
La déprofessionalisation
Philippe VDD conclut par un texte d’une conférence que prononça Edgar Morin au terme d’un colloque sur la déprofessionnalisation organisé par la revue Critère à Montréal en 1979 et qui critiquait la spécialisation. Philippe VDD refuse l’adage fameux : « à chacun son métier ». On doit pouvoir parler de façon pertinente et comprendre ce que fait l’autre. Il cite également la lettre ouverte du département son (2001), écrite par des professionnels américains :
Cette lettre a été écrite avec la collaboration de professionnels du son afin d’aider les metteurs en scène et les producteurs à comprendre de quelle manière un son de qualité peut être enregistré sur un plateau. Nous avons comme lien commun celui de vous aider à faire le meilleur film possible.
Il ne faut pas oublier le lien commun. Les techniciens réfléchissent à des stratégies pour faire le mieux possible et pour le film.