Conférence du 8 juin 2017
Martin Barnier, professeur en études cinématographiques et audiovisuelles à l’Université Lumière Lyon 2. Il travaille sur l’histoire du son au cinéma, les Biopics, l’histoire des spectateurs, et la 3-D.
Publications : En Route vers le parlant (CEFAL, 2002) ; Des films français made in Hollywood. Les versions multiples (1929-1935) (L’Harmattan, 2004) ; Bruits, cris, musiques de films (Presses Universitaires de Rennes, 2010) et Analyse de film : Conte d’été de Rohmer (Vrin, 2011, avec Pierre Beylot). Avec Kira Kitsopanidou il a coécrit : Le Cinéma 3-D. Histoire, économie, technique, esthétique, Armand Colin, 2015.
Il a codirigé, avec Rémi Fontanel, Les Biopics du pouvoir politique de l’Antiquité au XIXe siècle. Hommes et femmes de pouvoir à l’écran, (Aléas, 2010). Et avec Trudy Bolter, Rémi Fontanel et Isabelle Le Corff, Biopics de tueurs / Killers in Biopics, livre numérique, Lyon, Alter Editions, 2014. Il vient de publier Une brève histoire du cinéma (1895-2015) (éditions Pluriel, 2017, avec Laurent Jullier).
Il est également le co-directeur de dossiers publiés dans des revues avec double évaluation en aveugle. Avec Isabelle Le Corff, Mise au Point, n°5, 2013 : Le Cinéma européen et les langues (en ligne sur revue.org) ; avec Jean-Pierre Sirois-Trahan, CiNéMaS (Université de Montréal), Le son au cinéma : nouvelles pistes, vol.24, n°1, 2014 ; et avec Jean-Pierre Esquenazi, dossier « Les spectateurs et les écrans », n° 2 de la revue Ecrans (éd. L’Harmattan, mai 2014).

Martin Barnier explique que le son qui accompagne les films avant 1914 ne se résume pas à un piano sous l’écran. Il y a une grande multiplicité d’expérimentations et de pratiques commerciales et donc une multiplicité des expériences de spectateurs. Dans les études cinématographiques, on se concentre souvent sur le film comme un objet indépendant. Pourtant on doit relativiser parce que cela dépend aussi de la projection. Les conditions de projection peuvent transformer le film. Ainsi, au Japon, l’industrie cinématographique avait la capacité de passer au parlant au début des années 30. Mais les « Benshi » (bonimenteurs japonais) étaient si importants qu’ils vont bloquer le développement du parlant jusqu’en 1936. Les « Benshi » faisaient le spectacle et pouvaient changer la séance. C’est ainsi que le nom du « Benshi » apparaissait souvent dans les programmes en plus gros que le titre du film et qu’il y avait des concours de « Benshi », où chacun leur tour ils bonimentaient le même film en changeant à chaque fois la signification. Entre les bonimenteurs, des orgues de cinéma (avec bruitage intégré, percussions, mais qui se sont développées plutôt dans les années 20), parfois des chanteurs d’opéra (à Lyon, vers 1912 un chanteur d’opéra vient pour une ou deux chansons dans les péplums, par exemple). Chaque séance est ainsi différente. Au Gaumont palace, on pouvait entendre jusqu’à 50 musiciens et 60 choristes, pour une salle de 4000 places !
Martin Barnier explique également que, jusqu’en 1914, il y avait beaucoup de bruits parasites. Ainsi il faut imaginer des projections à l’extérieur, avec des éléments urbains comme des voitures (qui certes étaient beaucoup plus rares). Les bruits ambiants dépendent du lieu de projection, par exemple dans les bars, où de nombreux films étaient projetés, il faut imaginer les discussions et les bruits de verre. On sait bien aussi que les films étaient souvent projetés dans des baraques ou des tentes, par des forains. Il faut penser aux conditions sonores dans les foires. Ainsi, pour produire une électricité suffisante dans les villages et petites villes (qui n’avaient pas une production d’électricité régulière), il fallait une dynamo accolée à la baraque, la « locomobile » qui faisait le bruit d’une locomotive. De plus, devant les baraques de foire, il pouvait y avoir un « Orchestrion » (une machine qui joue jusqu’à 40 instruments, avec des cartes perforées). Ce qui veut dire que pendant la séance, outre la locomobile, vous entendez l’ « orchestrion » qui joue pour attirer le public de la séance suivante. Martin Barnier passe ensuite un extrait du film Le silence est d’or de René Clair (1947), dans lequel Maurice Chevalier joue un réalisateur de cinéma en 1910. Devant la baraque foraine, on voit (et on entend) l’aboyeur, qui tente d’attirer le public sous la tente, encore un bruit que l’on doit pendre en considération. En revanche, Martin Barnier explique que le bruit du projecteur est un mythe, qu’il était léger et sans nuisance (d’autant que depuis l’incendie du Bazar de la charité en 1897, les projecteurs était enfermés, la plupart du temps, dans une cabine). N’oublions pas qu’il n’y avait pas de moteur et que la manivelle, bien huilée, ne fait qu’un petit ronron très doux. Ce mythe vient des projections des années 20 dans les cinéclub, avec des projecteurs à moteur.
Très vite, outre les bruiteurs, les bonimenteurs et la musique, il va y avoir des essais de cinéma sonore synchrone. Ainsi le Chronophone Gaumont (parlant et chantant) apparaît autour de 1906 et s’installe dans de nombreuses tentes de forains aussi bien que dans des grandes salles autour de 1910. Des affiches montrent que même les baraques foraines ont projeté des films avec la synchronisation mécanique de son sur disques. A la Scala, à Lyon, salle de 1500 places, chaque semaine, on pouvait voir deux films chantants ou parlant, entre 1912 et 1914. Pour tourner ces films, avant 1912, il n’y avait pas de micro. Les acteurs chantaient dans un pavillon de phonographe géant, puis on passait le disque, en les filmant pendant qu’ils chantaient en play-back.
Pour conclure, avant 1914, les projections étaient accompagnées de bruit (foire, bar, rues, bruitages), de paroles (bonimenteur, conférenciers) et de musique (phonographe, pianiste, orchestre). N’oublions pas non plus le bruit produit par le public lui-même. Ainsi certains forains s’étaient spécialisés dans les sorties d’usine ou de stade. Tout en filmant, ils indiquaient que cela serait projeté le soir même, pour que ce public de masse vienne se voir au cinéma. Les réactions du public font alors le spectacle. Le silence dans les salles viendra progressivement et dépend d’habitudes spécifiques à chaque pays. Au USA en 1915-1916 sont inaugurées des salles luxueuses, avec ouvreurs que l’on appelle « usher » (en anglais « hush, hush » veut dire « chut, chut »), et qui sont là pour faire respecter le silence.