Conférence du 10 mars 2106,
Directeur de la photo, Cadreur, Enseignant chargé de cours en audiovisuel, Michel Coteret a été directeur de la formation initiale de l’ENS Louis Lumière (Directeur des études) jusqu’en 2015. Il a également été directeur du département Image de la FEMIS.
Michel Coteret propose de s’interroger sur les outils du cinéma, pas seulement la technologie mais les éléments mis en jeu pour réaliser un film. Ainsi il cite la caméra, la machinerie, l’éclairage, les objectifs, le support d’enregistrement, le lieu de tournage et le son. Ce sont des éléments interactifs entre eux, chaque déplacement remet tout en question. A cela s’ajoutent des l’éléments immatériels tels que les questions économiques (budget), politiques (qui prend les décisions), sociales (derrière les machines il y a des être humains et des dynamiques d’équipe) et artistiques. Comme au billard, chaque élément interagit, au moment du tournage mais également lors de la fabrication des outils.
Prenons l’exemple de la caméra qui est l’outil emblématique du cinéma. Tout d’abord, pour quoi faire : question de la destination : fiction, documentaire, reportage. Se pose la question de l’ergonomie, de l’utilisation par l’homme, avec des paramètres tels que le poids, la force motrice et le bruit. Ainsi le poids est en augmentation avec l’arrivée du sonore et de la couleur. Le bruit est l’ennemi du sonore mais en même temps avec l’arrivée du son, on est passé de 16 images secondes à 24 images seconde, donc plus de bruits. La force motrice (moteur), pose la question du poids. Ainsi on voit combien chaque élément est inextricablement lié. De même les différents types de visées influencent le rapport à l’outil et le résultat à l’écran. La visée claire donnait seulement une approximation relative du cadre. Comment suivre un personnage qui bouge en gros plan : c’est impossible avec une visée claire et donc ces types de plan sont alors absent du cinéma. La visée à travers la pellicule ne permet pas de voir très bien. Pendant la journée les cadreurs portaient des lunettes de soudeur pour s’habituer à l’obscurité. L’arrivée de la visée reflex permet de voir précisément le cadre, mais l’obturateur miroir fait du bruit. Aujourd’hui c’est la visée électronique qui domine avec d’autres avantages et inconvénients. Ainsi cela permet d’utiliser la plus grande sensibilité des capteurs numériques. Le cadreur voit clairement l’image alors que tout est dans la pénombre. Cependant la visée numérique induit un léger décalage entre ce qui est filmé et ce que l’on voit dans le viseur, ce qui peut s’avérer gênant. A cela s’ajoutent des éléments politiques et la culture usine du
fabricant de caméra. Pour expliciter cette question, Michel Coteret fait rapidement un petit historique du développement du fabricant ARRI :
ARRI Arnold & Richter 1917.
A l’origine c’était des fabricants de phares et de petites mécaniques.
– 1932 Début de l’étude d’une caméra reportage 35 mm.
La demande est celle de la légèreté, avec moteur électrique. Pas trop bruyante même si elle n’est pas silencieuse et doit être portée par un seul homme.
– 1937 Présentation du prototype à la foire de Leipzig de l’ARRI 35, avec une visée reflex.
3 objectifs sur la caméra (tourelle) sont manipulables aisément.
Photo 2007 by J-E Nyström, Helsinki, Fin 1
Leur plus gros client c’est la Wehrmacht (armée Allemande) qui est sûrement le commanditaire. Cette caméra sera largement utilisée pour le tournage de films d’actualité et de propagande pendant la seconde guerre mondiale.
Après 1945 cette caméra tourne mondialement.
On voit clairement se dessiner une culture usine : celle d’un homme seul qui cadre et fait le point.
– 33 ans après : 1970 Présentation de l’ARRI BL, une caméra auto blimpée (silencieuse)
Elle propose des avancées technologiques mais la culture « usine » est identique. Ce ne sont pas des caméras ergonomiques pour la fiction. Pour le point, c’est très difficile, par contre pour le cadre c’est un grand confort.
– Dans les années 1970 on voit également la naissance de la Moviecam (1976) : ce sont des dissidents de chez ARRI qui partent pour produire une caméra qu’Arriflex ne voulait pas développer et produire, pour des raisons de culture usine. C’est une caméra plus ergonomique, davantage faite pour la fiction, avec une équipe de plusieurs techniciens.
– Et 25 ans plus tard :
1995 ARRI 435
Il s’agit d’une version améliorée de la Moviecam autrichienne, qui a été rachetée par ARRI. Il y a alors une rupture culture usine et un changement de perspective.
– Encore 15 ans plus tard :
2010 ALEXA, caméra numérique.
Arri studio propose une visée optique, avec un obturateur. Les cadreurs se sont plaints de la visée numérique, fatigante pour les yeux. Cependant, pour cette caméra, il faut que le moteur tourne en permanence, pour que le cadreur puisse voir (le moteur s’use). En outre, on tourne souvent avec un diaphragme fermé en numérique (sensibilité du capteur), et dans ce cas, on ne voit pas très bien dans la visée optique.
Ainsi, à partir de ce rapide parcours dans l’histoire d’ARRI, Michel Coteret met en évidence le lien entre outil, création et social. Cette interdépendance va être mise en exergue au travers d’autres exemples lors de la conférence. En machinerie la tête manivelle vient du système de pilotage des machines outils, le cinéma prend appui sur ce que l’on trouve dans l’industrie. Il met aussi en évidence l’importance du support. En argentique, la caméra est neutre. Ce qui influence l’image, c’est le choix de l’optique et de la pellicule. En revanche, en numérique, la caméra comprend le support et le traitement (la débayerisation, avec des codec propriétaires des fabricants). C’est pourquoi on peut mettre en avant la possibilité d’une caméra numérique open source (voir le projet apertus). Enfin, pour conclure, on peut souligner l’importance de l’équipe de film. Derrière les outils, il y a les hommes. Les métiers évoluent, la répartition des tâches et les compétences aussi.